Fête des Guides
Texte écrit en mars 2009 par Fanny, fille du guide Tiapa Langevin.
Il me semble que le jour de la fête des guides, il a toujours fait beau.
Il faut dire que coincée entre juillet et aout, il n’y a pas de meilleur moment pour le soleil.
A la maison, la fête commençait dès le matin : papa était là au petit déjeuner !
En saison avec ce métier, c’était plutôt rare. Certains matins j’arrivais parfois à me glisser entre les odeurs de café, de cordes et de casse-croûtes. Les courses qui commençaient du bas n’étaient pas très fréquentes : Tour Germaine dans la Vallée Étroite, les Arêtes de la Bruyère dans les Cerces ou l’Aiguillette du Lauzet.
Ce jour-là, donc, pas question de traîner, il fallait arriver à Ailefroide avec assez d’avance sur la fin de la messe pour que tout soit prêt. Après la bénédiction des cordes et des piolets, place au vin d’honneur.
L’effervescence régnait au bureau des guides. Tous étaient là et avaient sorti les habits de cérémonie : veste vert bouteille, cravate en cuir, knickers beiges, et chaussettes jacquard. Seuls les guides militaires ou gendarmes pouvaient à la rigueur échapper à cet uniforme. L’important dans tout ça, c’était de garder une place pour la médaille plantée en évidence sur la poitrine. Elle n’a que très peu changé depuis que je la connais avec sa gentiane bleue des Alpes, son sommet à la Samivel et son piolet.
Vers 11 heures, dans le pré face au bureau tout était prêt : les tables dressées, les nappes en papier accrochées et les verres installés en rang d’oignons. André trônait derrière le comptoir et le vin blanc rafraichissait dans la fontaine à côté de la chapelle.
En un mot les officiels : maires de la vallée, gardiens de refuge, hôteliers, représentants du CAF, pouvaient arriver. Bien entendu la photo de groupe serait prise sur le perron par le reporter du Daubé et trônerait dans le journal dès le lendemain.
Je ne me souviens pas des discours, enfants je ne les écoutais pas. Je profitais de ce court moment sans surveillance pour courir dans les près avoisinants en attendant le grand moment de gloire : la vente des billets de tombola.
Ce jour-là, plantés près du pont dès l’heure du déjeuner au milieu des épilobes et des framboises, nous avions le droit magique d’arrêter les voitures qui montaient et descendaient pour leur proposer des tickets numérotés et leur promettre monts et merveilles. Nous lisions la liste des cadeaux récoltés méticuleusement depuis le mois de juin : opinel, photo des écrins, truite vivante, repas en refuge, séjour en hôtel, et... course avec guide. La solidarité des partenaires de la vallée qui fournissaient de nombreux lots assurait chaque année un franc succès à la tombola.
Bien sûr les cadeaux les plus convoités n’étaient pas toujours dans notre escarcelle, il m’a fallu 30 ans pour avoir la photo des écrins au soleil levant et je dois avouer que c’est mon fils qui l’a gagnée !
Les sandwiches au pain frais du déjeuner étaient accueillis avec enthousiasme. Ils déclenchaient à coup sûr des récits en cascades sur les casse-croûte de montagne les plus incongrus. Chaque guide avait le sien : pâté végétarien, boîte d’ananas, rôtis maison ou bouteille de champagne.
Le centre des activités se déplaçait en début d’après-midi vers la paroi d’escalade d’Ailefroide et maman qui parfois évitait le vin blanc nous rejoignait dans le champ avec quelques amis.
Tout en admirant les démonstrations, il fallait organiser une stratégie de sauvegarde. Comment s’installer, bavarder et dorer au soleil sans finir trempé jusqu’aux os dans le marécage ? Comment aller et venir vers chacun sans pourrir définitivement baskets et chaussettes : je n’ai toujours pas de recette infaillible.
Pendant qu’une partie des guides évoluaient dans les grandes voies, en bas près des blocs, le spectacle s’organisait. Les cordes tendues de la tyrolienne permettaient aux enfants de traverser d’un mélèze à l’autre à quelques mètres du sol. L’hélicoptère du secours en montagne se posait dans un nuage d’herbe coupée, nous étions partagés entre recul et curiosité, mais soulagés de ne pas le savoir en sauvetage. Enfin la cordée 1900, petit groupe de garçons et filles, enfants et adultes, habillés en montagnards d’antan avec en tête son guide en chaussure à clou, chapeau de feutre et échelle, attirait les regards. La fin de la journée s’étirait.
Il n’était pas rare de finir par une bière de la terrasse de chez Rolland, j’avais alors droit à une glace deux boules dans une coupelle métallique avec une langue de chat le goût amer du Génépi reste encore dans ma mémoire.
Les virages de la descente étaient apaisants après toute cette agitation.
Mais le dîner à peine avalé, il fallait à nouveau courir pour arriver à temps à l’église où le curé nous attendait, nous confiait les clés et nous aidait à tout installer, traditionnellement la séance du samedi soir se tenait à Pelvoux et celle du dimanche à Vallouise.
L’écran, immense assemblage de draps réalisé par quelques femmes de guide, s’élevait doucement devant la chaire. Le public arrivait à la nuit tombée pour le diaporama sonorisé. Il était, en effet, rare d’échapper aux « quatre saisons » de Vivaldi, mais ce manque d’imagination avait quelque chose de rassurant à mes oreilles d’enfant.
Le retour sous une brise un peu frisquette vers la maison annonçait du beau temps pour le lendemain. Papa pourrait partir pour Roche Faurio, les Arêtes de Sialouze ou la traversée du Pelvoux sans inquiétude.
Mars 2009
Fanny, fille du guide Tiapa Langevin.