La décennie 2010-2020 n’a connu que peu de créneaux propices à l’euphorie glaciaire, si l’hiver 2012 fut remarquable, nombreux sont les pratiquants qui s’apprêtaient à jeter leur encombrant matériel, rouillé et émoussé, lassés d’espérer.
Miracle au firmament, un froid transperçant s’est maintenu quatre semaines durant.
Cet hiver 2021 les glaciéristes du monde entier affutent piolets et crampons en scrutant la formation des structures dans la vallée de Freissinières. Car il s’agit bien de la perle des Ecrins, où les itinéraires les plus raides et les plus prestigieux se côtoient. Le parcours des lignes est d’autant plus remarquable, qu’au-delà de la difficulté de l’itinéraire, certaines cascades n’ont été en conditions qu’une fois depuis leur première ascension au début des années 90.
Mi-janvier 2021, c’est la ruée vers l’or. Les parkings sont remplis dès 7h00 du matin, toutes les cascades sont prises d’assaut. Des voies les plus abordables aux itinéraires les plus audacieux, les cordées se succèdent.
Les spécialistes de l’activité commentent unanimement : « Cela faisait près de 20 ans que nous n’avions connu de telles conditions ». Sébastien Foissac, éminent glaciériste et guide au bureau des Ecrins depuis plusieurs décennies.
Avec la jeune recrue talentueuse du bureau des guides Octave Garbolino et l’alpiniste le plus médiatisé de l’été 2020 Benjamin Vedrines (cf texte sur le chrono de la traversée des arêtes de la Meije), nous avons eu la chance de parcourir « Le Cimetière des Eléphants ». Rarement formée, menacée par la « trompe » monumentale épée de glace suspendue au-dessus de la voie, l’ascension de cette cascade n’est envisageable que lors d’un très favorable concours de circonstances.
La fortune nous gâte d’autant plus, car la cordée de spécialistes Jonathan Joly et Fréderic Dégoulet a rééquipé deux jours plus tôt la voie, remplaçant une partie mixte non grimpable par une longueur originale d’escalade technique, ludique et bien protégée. Nous livrant ainsi une version revisitée sur un plateau d’argent.
L’escalade fut aussi agréable que possible, l’ambiance décontractée, la cordée rodée aux difficultés, les conditions excellentes puisque nous pouvions profiter des traces de nos prédécesseurs pour ancrer nos engins sans disperser d’énergie. De plus la grimpe était variée : des colonnes suspendues, des tubes aériens, des plaquages fragiles et des connections rocheuses pour rejoindre les dernières stalactites les plus reculées. Nous vécûmes une journée mémorable.
Le clou du spectacle restera la vertigineuse descente en rappel pendulaire sur 60m, parfaitement équipée par les camarades, qu’ils vivent mille ans !
Au retour, nous constatons que ce n’était pas seulement l’excitation qui nous réchauffait, les températures ont radicalement augmenté pendant la journée. La cascade coule abondamment sur nos vestes et sur le rocher, la neige botte sous nos crampons.
Il est évident que la cascade s’écoule.