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    André Giraud, le vrai skieur de l’impossible

    Texte initialement publié par Antoine CHANDELLIER le 07/03/2014 dans ledauphine.com

    Avec son ami le Grenoblois Paul Clément, le guide des Écrins fut le premier à explorer cet univers que les Américains appellent “ no fall zone ”. Au début des années 60, le discret “Dédé” Giraud trempait ses spatules dans ces pentes flirtant avec les 55 degrés d’inclinaison où la chute est interdite. Un certain Sylvain Saudan en embuscade…

    Parfois la vie tient à peu de chose. La sienne, André Giraud s’est amusé à la suspendre à la minceur de ses carres. S’accrocher à la pente : une affaire d’hérédité chez lui.
    C’est bien à la montée que ce 7 juillet 1964, le destin du Haut-Alpin faillit basculer. Loin de sa chère vallée d’Ailefroide et de Pelvoux, dans ce massif du Mont-Blanc qui se hausse du col. Sur l’aiguille Verte, sommet qui n’offre aucun accès facile. Ce jour-là, la promotion de guides de l’Ensa est divisée en groupes. L’aspirant Giraud est de celui qui emprunte l’arête des Ecclésiastiques. Le Seigneur les accompagne au point culminant à 4122 m, où doivent les rejoindre les stagiaires partis des Grands Montets. « On avait de l’avance alors on a commencé à descendre par le couloir Whymper pour faire la trace. » Cheminant dans cette pente dont la rectitude titille ses instincts de skieur, il apprend par les secouristes que 14 de leurs compagnons viennent de mourir de l’autre côté, emportés par une plaque, dans ce qui reste ce jour la plus grande tragédie alpine.
    Il est des noms qui vous poursuivent toute une vie. Celui d’Edward Whymper plane sur la barre des Ecrins, qu’il gravit à 10 ans avec son père. L’Anglais est associé à ce couloir de la Verte où l’effroi a traversé l’esprit de Giraud. Whymper ou le nom de la désillusion.
    Lesté du deuil de ses compagnons, il entamait sa carrière de guide. « J’y pensais tous les matins, pendant un an. » Mais la Verte, la tueuse, le fascine et ce Whymper, aux 55° d’inclinaison, avec son ami grenoblois Paul Clément, il s’est mis au défi de le descendre à skis. L’époque est au matériel rudimentaire, aux chaussures à lacets, boucles à la cheville.
    Fils du grand guide et chasseur Jean Giraud, André a l’agilité du chamois. Il signe de belles premières en alpinisme, laissant son nom dans la face sud-est des Bans. Mais son truc c’est la maîtrise de la gravité, dont il a un sens inné. Dès 5 ans dans le champ du Sarret, le hameau familial, André a appris à skier seul. Un fil de neige hissait les gamins enfournés dans une grande luge. C’est à skis qu’il allait à l’école ou descendait à Vallouise pour écouter les nouvelles à la TSF.
    Avec Clément, ils ont leur technique. D’abord l’approche. Une pente se tâte. « On montait sans crampons dans les couloirs que l’on descendait. » Puis, vient le moment de se lancer, comme un nageur dans un bain d’eau glacée, la pente vous fixant le blanc des yeux. « On virait avec dégagement des deux skis ». C’est le fameux virage sauté. A 73 ans, dans la descente sur Puy Aillaud, avec ses spatules rockers, le geste est toujours précis. Une question bête nous vient :« Et la chute ? » Bien sûr qu’il y a songé. « On avait développé une porte se sortie ». La parade consistait à se jeter dans le vide pour effectuer un tour complet et retomber sur ses skis. A la grâce de Dieu ! « Je l’ai fait au couloir de l’entonnoir à Vars » certifie le taiseux soudain plus disert.
    Le duo, sans bruit, franchit ainsi la frontière des 50 degrés au couloir Davin en 1965, théâtre de plusieurs chutes mortelles, depuis. Du col des près des Fonts un sympathique toboggan de 1 700 m sur la Guisane. L’année d’après ils remettent ça à la Barre noire. 400 m d’une pente moyenne de 47 °. Et l’an suivant, c’est la calotte des Agneaux, 50 ° qu’ils dévalent hardiment.
    Cette même saison 1967, le 23 septembre, un Suisse tonitruant du nom de Sylvain Saudan vient jouer dans leur jardin. Il descend le couloir Spencer à l’aiguille de Blaitière et la presse parle de l’an zéro du ski extrême. On glorifie le skieur de l’Impossible, eux poursuivent leurs traces folles.
    Mai 1968, les pavés volent. Clément est à l’armée. L’heure de s’attaquer au Whymper approche, mais celle de la libération s’éternise. Leur projet commence à se savoir, éventé par un journaliste du Dauphiné. Et voilà que le 8 juin, Saudan leur grille la politesse à la Verte. A lui lauriers, pub et dollars. Giraud et Clément se consolent sur une scène moins théâtrale, plus à leur image : l’arête Mettrier aux dômes de Miages. Un mois après, Clément devait périr à la Grande ruine en alpinisme, laissant son compère orphelin.
    Depuis, Giraud s’est rangé des pentes raides. Menant une authentique vie de montagnard à guider des clients au pilier sud des Écrins un jour, en cueillant d’autres au refuge le lendemain pour la Meije. Le vétéran de l’impossible est aujourd’hui un papy tranquille. Cet été aux Écrins, il emmènera sa fille et sa petite fille pour les 150 ans de la première de ce bougre de Whymper.
    En cas de chute ? La parade consistait à se jeter dans le vide pour effectuer un tour complet et retomber sur ses skis...